mardi 24 novembre 2015

Clannad - Analyse Anime

Afin de me remettre sur les rails, j’ai décidé ni plus ni moins de m’attaquer à l’anime que je place le plus haut dans mon cœur. Un anime qui, malgré de multiples visionnages, reste encore une énigme à mes yeux.

Il y a une ambiguïté dans le fait d’aduler autant quelque chose qui nous dépasse. On pourrait prendre ça pour un manque d’objectivité ou un défaut d’analyse. Cependant, je pense qu’il existe des œuvres hors normes qui, si certains hésitent à les appeler chef-d’œuvre, ont pourtant un impact bien plus grand sur nos personnes. Aujourd’hui, je vais essayer de vous transmettre tout l’amour que j’ai pour Clannad.


  1. Introduction
  2. Adaptation de visual novel
  3. Expérience, empathie et transcendance
  4. Mémoire musicale
  5. Passage à l’âge adulte
  6. Conclusion

Introduction


Clannad, et sa suite Clannad After Story, est un anime diffusé de 2007 à 2009 et réalisé par Kyoto Animation. C’est l’adaptation de la visual novel éponyme développée par Key et sortie en 2004.

L’anime raconte l’histoire de Tomoya, un lycéen à la vie morose, qui se prend d’affection pour une de ses camarades de classe solitaire, Nagisa. L’histoire suit principalement leur vie lycéenne au travers d’une multitude de rencontres, pour la plupart avec le genre féminin, qui seront à l’origine d’autant de drames et de passés déterrés.

Que l’on soit amateur d’anime ou de visual-novel, Clannad est un nom qui ne laisse pas indifférent. La licence a su toucher nombre de personnes et, si elle reste le fruit de quelques critiques, l’engouement ne retombe pas encore aujourd’hui.

Un exemple plutôt récent de son incroyable popularité est la récente campagne Kickstarter organisée pour une sortie internationale de la visual-novel à l’occasion des 10 ans du jeu et qui a été financée à 100% en moins de 24h. Le jeu vient tout juste de sortir sur Steam et s'est installé dans le top 5 des ventes.

Adaptation de visual-novel


Si le jeu a connu un immense succès dans son marché spécifique, rien ne laissait envisager que l’anime allait avoir un tel impact. Car Clannad est un “eroge”. Et un eroge, c’est difficile à adapter.

Un eroge est une catégorie de visual-novel très spécifique au marché japonais. Pour rappel, un visual-novel est une sorte de “jeu vidéo pour lettré”, un roman interactif où les aspects ludiques et graphiques sont réduits à leur minimum pour mettre la narration textuelle en avant. Celle-ci offre une part importante de choix au joueur, à l’image d’un livre “dont vous êtes le héros”. Un décor fixe, un interlocuteur animé avec pas plus de 5 expressions de visage différentes et une fenêtre pour les dialogues : bienvenue dans un visual-novel.


La particularité d'un eroge est d'avoir une structure narrative centrée sur une collection de personnages constituant autant d’intérêts amoureux pour le héros et, par extension, le joueur. Essayer de séduire l’un de ces personnages va permettre d’orienter le jeu vers son histoire et rendra leur relation plus intime. L’accomplissement dans un tel jeu demande de recommencer depuis le début plusieurs fois afin de découvrir les différentes histoires entourant chacun des personnages.

L’utilisation du terme “eroge” pour parler de Clannad est un peu un abus de ma part. “Eroge” vient en fait de “erotic game” et induit, comme son nom l’indique, un contenu pornographique. Cependant il existe des jeux qui reprennent la même structure narrative mais avec des histoires tout public basées sur le drame et l’émotion. Clannad rentre dans cette catégorie. Il existe de nombreux personnages féminins mais le récit est centré sur leurs histoires dramatiques et non sur l'amour charnel. Je vais conserver le terme d’eroge car la structure de Clannad reste fortement inspirée de celle de ses équivalents pornographiques.

Pour en revenir à notre sujet, c’est la structure même d’un eroge qui la rend difficile à adapter. Il n’est pas chose aisée de transformer un scénario interactif à embranchements composé de plusieurs histoires diamétralement différentes en un scénario linéaire réutilisant intelligemment ces mêmes éléments scénaristiques.

Certaines adaptations abordent les récits tour à tour, reprenant à la situation de départ pour chaque personnage, comme le ferait un eroge. Mais cela se résume souvent en un manque d’empathie pour les personnages car le héros passe d’une fille à l’autre tous les 4 épisodes. Le spectateur n’a pas le temps d’apprécier les différentes filles et le héros devient carrément antipathique avec ses allures de coureur de jupons.

C’est pour cette raison que certains eroges mettent en avant un de ses personnage comme héroïne principale, lui offrant une histoire plus dense et donc souvent plus intense. Ce procédé narratif a comme intérêt d’identifier une scénario principal et une “vraie” fin. Cette fin de jeu est souvent la dernière auquel le joueur a accès et sert de conclusion à l'expérience. Le sentiment d'accomplissement fourni est très fort.


Clannad est construit de cette façon et a fait date dans le genre du eroge. C’est d’ailleurs une des signatures de Key, qui développe la totalité de ses jeux sur cette idée. Clannad a aussi la particularité d’être divisé en 2 parties, la seconde étant entièrement dédiée à la relation entre Tomoya et Nagisa, nos deux personnages principaux.

L’anime reprend lui aussi ce format. La première partie reprend l’esprit du eroge, jonglant avec les différents personnages mais adapte les matériaux de base pour installer l’histoire principale. La seconde saison commence sur le même élan, avant de se recentrer sur nos 2 héros, ce qui constitue le véritable intérêt de la série. À compter aussi les 2 OAV (Original Animation Video), dont le mémorable “Tomoyo After”, qui font le choix de reprendre à zéro les relations pour aborder des histoires intéressantes de la visual-novel mais pas vraiment compatibles avec les choix d’adaptation de l’anime.

Pour en revenir au sujet, cette structure construite autour d’une seule héroïne est surtout très appréciable dans le cadre d’une adaptation. Le scénario de l’anime (ou du manga, livre,…) pourra être centré sur le scénario dense de l’héroïne principale. Les scénarios des autres filles seront eux adaptés autour de cette colonne vertébrale sans pour autant que cela se transforme en relation amoureuse. Mieux : on donnera l’impression que le héros est la source d’attraction de toutes les filles, même si, lui, n’a d’yeux que pour l’une d’entre elles

Expérience, empathie et transcendance


Convaincre autrui de visionner Clannad n’est pas une mince affaire. La faute peut-être à un concept de base dont la généricité n’a d’égal que sa simplicité : “romances d’un lycéen ennuyé qui ne peut pas s’empêcher d’aider les filles qu’il rencontre”. À première vue, Clannad pourrait se résumer à cela. Tout du moins l’histoire d’une saison.

On peut raisonnablement convenir que le succès de Clannad ne peut s’expliquer par son seul concept. Il nous faut donc mettre en exergue une autre notion qui me tient particulièrement à cœur : celle de l’expérience.

S’il fallait la définir, l’expérience constitue la suite d’émotions purement subjectives que nous procure une œuvre, de sa prise de connaissance à son oubli, avec comme points d’orgue nos confrontations à celle-ci, qui peuvent être multiples et variées.

Faisons une approche mathématique : imaginer un axe gradué dans le temps où chaque point représente votre état émotionnel vis-à-vis de l’œuvre. Cette droite vous est propre. D’autres personne confrontées à la même œuvre en tireront une expérience personnelle, sculptée par leur vécu et leurs goûts.

À mon sens, tout créateur de contenu fictif opère sur cet espace : il conçoit son œuvre avec les outils narratifs spécifiques à son médium dans le but de transmettre l’expérience voulu à son public, tout en ayant conscience des diversités d’opinion et d’utilisation.

Cette expérience souhaitée est souvent conditionnée par une vision, c’est-à-dire un ensemble d’objectifs fondamentaux ayant motivé le projet pour son créateur et qui servent de cahier des charges primaires dans sa réalisation. Parvenir à déceler la vision d’un artiste au sein de son œuvre est la meilleure façon de comprendre son processus de création et ses choix.

Le point essentiel ici, c’est qu’une œuvre au contenu hétéroclite et inégal peut parfois prendre du sens au travers du prisme de l’expérience. Un récit dramatique va par exemple dans un premier temps créer de l’empathie pour ses personnages, en présentant les personnages dans leur vie quotidienne. Clannad excelle dans cette tâche car l'humour y est omniprésent. Avant d'être un drama hors du commun, c'est aussi une comédie de premier ordre et Clannad ne serait rien sans ça.

Puis c’est feu d’artifice et carnaval nocturne : un accident dramatique, un passé qui resurgit, une mémoire retrouvée, ou encore un personnage qui disparaît tragiquement, au plus grand dam du public qui commençait à bien l’apprécier ce petit bougre aux cheveux rebelles…


La seconde partie plongera alors peu à peu dans la psyché des personnages, faisant apparaître au grand jour vérité et sentiments cachés. Tous les ingrédients sont alors en place pour un dénouement heureux. Cela peut prendre bien des formes mais au final, si la blessure subsiste, elle est amoindrie par la présence des “autres”, ces gens sympas qui vous prennent par le bras, et par ce nouveau bonheur, tourné vers l’avenir. Cui-cui, les petits oiseaux et tout le reste.

C’est la base de tout récit dramatique. Par définition, la tristesse, c’est la perte du bonheur. Et c’est la mélancolie qui en découle qui nous fait pleurer.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les fondateurs de Key ont quitté leur ancien studio en ayant ce schéma d’histoire en tête. Une architecture narrative sur-utilisée mais qui marche étonnement bien dans un eroge. Là où les eroges se contentaient d’être des expériences à mi-chemin entre simulateur de drague et littérature pour adolescent, Key a su imposer par le bien de Air, Kanon, mais surtout avec le très populaire Clannad, une seconde nature aux eroges leur permettant de brasser bien plus d’émotions et de donner un peu de profondeur à des jeux souvent plats de par leur concepts minimalistes et leur manque d’ambition.

Ce qui fait une des grandes forces de Clannad, c’est que ce modèle est poussé à son paroxysme. L’histoire principale répète ce motif de nombreuses fois et monte en puissance en abordant des thématiques toujours plus fortes, passant d’un superficiel quasiment écœurant à une humanité touchante de vérité.

Les scénarios secondaires ne sont pas en reste et reproduisent le schéma à plus courte échelle. Rires et larmes se succèdent et créent un ensemble pour lequel on a une empathie sans faille. Cette succession d’événements pas forcément importants au premier abord crée en fait le climat nécessaire pour que l’histoire principale s’impose, au travers d’une seconde saison dantesque.

Mémoire musicale


Il reste une carte maîtresse que nous n’avons pas évoquée : la bande-son.
On ne va pas se mentir : les soundtracks de Clannad n’ont rien de révolutionnaire. Je pense que n’importe quelle oreille est capable de le dire. Mais toute sa magie réside dans l’incroyable capacité qu’elles ont à coller à l’action et à rendre chaque scène importante carrément inoubliable.


La plupart des soundtracks arborent un fond sonore continu et très sonnant, comme pourrait le produire un violon, auquel s’ajoute une sorte de composition “chantée” qui se sert d’un instrument comme d’une voix, le plus souvent un piano, et qui nous insuffle une irrésistible envie de fredonner ses airs. Des fonds sonores pénétrants associés à des petites mélodies très harmonieuses : voilà le secret de Clannad. Celui qui n’a jamais fredonner la comptine “Dango Daikazoku” est un menteur.

L’idée que j’ai précédemment évoquée, dans laquelle je place la mélancolie comme base du récit dramatique, est aussi retrouvée ici au travers de thèmes récurrents perceptibles dans plusieurs morceaux de la bande originale. C’est un des artifices utilisés pour faire ressortir des émotions ressenties plus tôt. On associe des personnages ou des événements à un morceau de musique et on en fait des variantes qu’on ressort plus tard pour amener la mélancolie. Effet garanti.

Derrière cette bande-son réside un homme important : Jun Maeda. Compositeur phare et membre fondateur de Key, Jun Maeda s’est aussi illustré en tant que parolier et scénariste. Clannad constitue son premier travail de référence : c’est lui qui a écrit la majorité du scénario principal et qui a composé la bande-son qui va avec.


Et on touche ici un point que je trouve essentiel pour comprendre ce qui fait la nature de Clannad : toute la seconde partie de l’histoire est portée par une très forte vision, la volonté farouche de prodiguer une expérience bouleversante au joueur/spectateur. Le fait qu’à la fois une grande partie du scénario et de la musique soit le fruit d’un seul homme y est sans doute pour beaucoup dans la synergie inhérente à l’œuvre.

La production de récit fictif est un art bien égoïste car si beaucoup de mediums comme le cinéma, l’animation ou les jeux vidéo sont des conceptions collectives, il existe souvent un personnage central dans l’équipe qui porte sa vision personnelle (réalisateur, game designer). Bien des chef d’œuvres sont associés à une seule personne et bien moins à des équipes. Il existe bien sûr un bon nombre d’exceptions et il est évident qu'on ne fait pas de grands jeux sans grandes équipes mais il semble que les visions d’équipe ne soient pas aussi puissantes que les visions individuelles.

Ma position est que le scénario et la musique l’un sans l’autre n’ont rien de révolutionnaire dans Clannad mais que leur forte liaison, fruit du travail d’une même personne, explique la perspicacité du tout. Sans doute cette passion débordante et cette bienveillance dans le propos est ce qui crée une telle sympathie pour Clannad, à qui on se permet de pardonner son contenu parfois bien inégal.

Je ne m'étendrais pas sur l'incroyable qualité de l'adaptation de Kyoto Animation car j'en ai déjà parlé dans l'article sur Suzumiya Haruhi no Yuutsu. L'anime a été réalisé pendant leur âge d'or et ça se voit. Ils ont su utiliser les libertés laissées par la visual novel en terme de mise en scène pour embellir toute les scènes clés avec des plans accrocheurs et une esthétique irréprochable, surtout dans la seconde saison.

Passage à l’âge adulte


La clé de voûte de l’expérience est pour moi la délicieuse allégorie qu’elle propose du passage à l’âge adulte. Elle met en confrontation deux mondes : insouciance et les niaiseries de l’enfance face au cruel et exigeant monde des adultes.

Certain diront que c’est un effet tout à fait fortuit, appuyant leur propos sur la pauvreté d’écriture de certains passages. Cependant, cela n’enlève rien à la cohérence de l’expérience.

L’expérience ne s’évalue pas en “qualité de production” mais bel et bien en “émotion”.

À ce titre, la plus simpliste des œuvres peut transmettre une expérience de haute volée. Quoi qu’il en soit, l’évolution dans le ton conduit à une véritable prise de conscience et à un questionnement d’autant plus grand pour le spectateur.

“Quel adulte deviendrais-je ?”. À travers cette question, Clannad cerne complètement son public avec un discours universel s’adressant majoritairement à des adolescents et jeunes adultes. Certaines des thématiques abordées sont d’ailleurs tellement étonnantes de pragmatisme qu’elles en deviennent anxiogènes pour le spectateur, forcé d’affronter ses doutes et ses peurs sur l’avenir. À condition qu’on la regarde avec les yeux d’un jeune homme ou femme, Clannad est une œuvre qui ne vous laissera pas sans interrogations.

Conclusion


Clannad fait partie de ces œuvres qui, au delà des grandes thématiques et des messages engagés, se contente de vouloir nous raconter une belle histoire. L’une de celles qui, aussi tristes soient-elles, nous font nous dire que ce monde n’est pas aussi pourri qu’il en a l’air si on y trouve des gens pour imaginer ce genre de récit. Qualifier Clannad de chef-d’œuvre absolu serait une distinction bien trop grande en considérant le manque d’homogénéité du tout ; mais Clannad est sans conteste une œuvre hors-norme et bouleversante, qui à ce titre vaut tout autant dans le cœur de bien des gens.

Mais soyez préparé ! Comme je me plais à le dire, on regarde Clannad au moins 3 fois. La première fois on s’arrête rapidement, cédant devant la naïveté ambiante de la première saison. La seconde fois on y retourne par curiosité, on va au bout et on prend toute l’émotion de plein fouet. S’en suit un deuil d’une semaine.

Puis on y retourne, le cœur gros, limite déçu de ne pouvoir réinitialiser notre mémoire, mais toujours avec un sourire bienveillant, que Clannad nous rend si bien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Google+